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Le principe de la novlangue


Message ajouté par ÉcoModo,

Ce sujet a été créé à partir du fil de discussion "Social justice is the new facism".

Déchet(s) recommandé(s)

il y a 46 minutes, BeauRouge a dit :

Ah, par contre oui tu as raison, j'évoque une rétroaction. C'est tout le sujet, la relation entre le cœur et l'esprit, entre la philosophie et la sagesse. C'est ce lien-là de rétroaction que j'estime être négligé par la science. 

Quelle relation entre le coeur et l'esprit? Quelle est la différence entra la philosophie et la sagesse selon toi? De quel lien de rétroaction parles-tu? Et quel est le lien avec l'hypothèse de Sapir-Whorf et la novlangue?

 

il y a 8 minutes, BeauRouge a dit :

Ca c'est un vrai sujet. Comment a fonctionné la machine de propagande fasciste, comment elle pourrait se réincarner. T'imagines pas à quel point j'ai pas l'énergie ni l'envie de faire ça. Surtout pas l'envie. J'ai toujours dans l'idée que l'énergie d'une idée prend forme dans le monde physique à travers le langage, d'en parler convoque plus ou moins ces idées, il y a des sujets plus intéressants à évoquer.  

Y'a pas besoin de faire une thèse sur le fascisme. Je te demande où tu as vu que Mussolini a banni des mots, parce que je suis curieux d'en lire plus la-dessus, et que c'est toi-même qui le dit constamment.

Arrête d'éviter et de détourner.

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Citation

Quelle relation entre le coeur et l'esprit? Quelle est la différence entra la philosophie et la sagesse selon toi? De quel lien de rétroaction parles-tu? Et quel est le lien avec l'hypothèse de Sapir-Whorf et la novlangue?

C'est précisément ici qu'intervient la nuance entre science et philosophie et c'est ici que très souvent je m'écharpe. Je te réponds demain. 

Remarque juste qu'avec la philosophie, la science et la sagesse, je retrouve les trois logiques dont je parlais, la raison, l'univers physique et le cœur. D'une façon ou d'une autre, tout ce que j'ai refondé est bâti là-dessus. 

 

 

Modifié par BeauRouge
(re)
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Il y a 20 heures, Celine a dit :

Je te demande où tu as vu que Mussolini a banni des mots,

Bannissement du pronom "Lei", en 1938,  formule de politesse qui fait que l'on s'adresse à quelqu'un à la troisième personne. Au lieu de dire "veux-tu ?" ou "voulez-vous ?", les italiens disent à quelqu'un, lorsqu'ils utilisent la forme de politesse "veut-elle ça ?", toujours au féminin. 

Lei a subi a un bannissement légal, acté devant le parlement de l'époque sous forme de loi.

D'autres mots ont été supprimés simplement par des consignes claires données aux médias : plus jamais ce mot. Par exemple, "stirpe" :

 

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Le "stirpe" qui était à peu près équivalent à "race" mais en plus feutré, plus lisse, a été banni des médias et des discussions politiques au profit de l'autre qui permettait de mettre l'accent sur l'importance du concept. Dans les fait, le mot "stirpe" a été banni du langage italien. 

Soruce:  https://www.persee.fr/doc/mefr_1123-9891_2005_num_117_1_10186 (page 300 et 301)

Je suppose qu'en creusant on en trouverait d'autres exemples de mots proscrits, bannis ou détournés, je sais que cette idée d'appauvrissement de la langue on la retrouve aussi dans les livres de Zweig mais je ne sais plus lesquels, je l'ai lu il y a quelque temps déjà. Peut-être dans le "Joueur d'échec". 

Avec ces deux liens "Persée" tu devrais avoir de quoi lire un peu sur le sujet.

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Après, il y a une nuance entre un bannissement légal et un bannissement indirect, via des consignes données aux médias de masse. Souvenons-nous qu'il s'agit de l'explosion initiale de l'usage de la radio, de la télé et du cinéma, pour ça que d'instinct j'aurais envie de remettre tout ça dans le contexte, j'ai quelques notions élémentaires sur le fonctionnement de la propagande nazie. En particulier si tu as le temps, je te conseille l'excellent livre : "Le viol des foules par la propagande politique" de Tchakothine, un russe anarchiste exilé à Paris, qui explique bien comment les théories de Pavlov et les découvertes psychologiques de Freud ont servi à bâtir un appareil technique de contrôle des masses humaines par la modification des perceptions et le détournement des biais cognitifs. 

Modifié par BeauRouge
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Il y a 22 heures, Celine a dit :

Le truc, c'est que tu comprends pas comment la grammaire d'un langage fonctionne. C'est pas une banque de mots que l'on agence comme un veut.

Ce sont des phonèmes - des sons qu'on peut produire avec nos cordes vocales et bouche -, qu'on agence en morphèmes - par exemple des suffixes,préfixes etc - , qu'on agence ensembles pour former des mots, et finalement on y applique des règles d'accord grammaticales comme le pluriel, le genre, le temps. Et c'est de l'agencement de toutes ces parties qu'apparait le sens d'un énoncé. Le fait de retirer un mot du dictionnaire n'empêche pas d'en créer de nouveaux, ni d'utiliser une combinaison d'autres mots existants, du moment que ces règles de base sont suffisamment expressives. 

C'est comme ça que les algorithmes modernes qui font de la reconnaissance de texte et vocale fonctionnent. Ils n'apprennent pas la totalité des mots, mais ils sont tout de même capable de comprendre et produire des mots du dictionnaire qu'ils n'ont jamais vu lors de leur étape d'entraînement. Ça fait même 50 ans qu'on sait que les enfants apprennent le langage de cette manière aussi avec le test du wug, où les enfants sont en mesure d'appliquer et de reconnaître des règles grammaticales sur des mots inventés de toute pièce - et qu'ils n'ont donc jamais pu voir et/ou entendre précédemment.

Alors tu peux continuer de prétendre que modifier le langage modifie significativement la structure de la pensée avec uniquement des impressions boboches sur les fascistes(?) et sur la philosophie orientale(???), mais il va falloir t'accrocher, parce que y'a plus d'un demi-siècle d'évidences empiriques pour te contredire.

C'est par ici où nous risquons d'avoir du mal à nous comprendre. On touche à un point que j'estime être faible en sciences sociales, celui des conditions de l'expérience. Les expériences de laboratoire reproductibles à l'infini, ça fonctionne parfaitement pour la science touchant à l'univers physique, pour les sciences dures. 

Par contre, dès que le sujet d'étude est le vivant et plus encore s'il s'agit de l'humain, il est beaucoup plus difficile d'assurer la reproductibilité des expériences et de tout ce que j'ai pu lire, c'est un facteur souvent négligé. Le cadre cognitif exact de l'expérience. Mais par contre, cette lacune empêche rarement les gens de se référer à ces expériences comme si elles étaient universelles et intemporelles, comme peuvent l'être des expériences physiques pures. 

L'exemple le plus simple c'est celui de la mante religieuse, tout le monde sait que la mante religieuse dévore le mâle après l'accouplement, n'est-ce pas ? C'est faux. C'était le résultat d'une expérience biaisée par les conditions d'environnement de l'expérience. De ce que l'on sait, effectivement la mante religieuse a un fort besoin de protéines après l'accouplement pour produire ses œufs et dans la nature elle va manger ce qu'elle trouve, dès que possible. Mais dans une expérience de laboratoire, la seule source de protéines à sa disposition est le mâle, donc elle mange le mâle. Ca peut lui arriver dans la nature aussi, dans des conditions particulières, mais en général elle va chercher une autre source de nourriture. Sauf que le cannibalisme sexuel ça a de la gueule, ça a bien été observé et ça fait de jolis papiers, donc on se retrouve tous avec une demi-vérité scientifique dans la tête.

L'autre exemple qui me vient en tête, c'est celui de l'expérience sociale du marshmallow, sur la gratification différée. En simplifié, on propose à quelqu'un de manger un marshmallow tout de suite mais, si au lieu de manger maintenant il attend X minutes, alors il pourra en manger deux. C'est très facile d'avoir un biais de sélection dans son échantillon puis de généraliser le résultat à l'humanité entière en oubliant ce biais de sélection. Typiquement, un chercheur a conduit cette expérience à Porto Rico sur des enfants des rues et ces enfants-là ne réfléchissaient même pas, ils mangeaient immédiatement le marshmallow sans délai. Justification : "on ne peut pas faire confiance à des adultes". 

Ok. Maintenant, le test du wug, il est fait sur quel échantillon. Sur des enfants occidentaux bien nourris dans une société démocratique libertaire ? Oui, s'il manque un mot c'est pas très grave, a priori ils vont réussir à reformer le langage sans aucune difficulté, sans altération de la pensée. Rien de trop étonnant. Maintenant... Des enfants mal nourris élevés dans une société fasciste. Ils ressembleraient pas aux gamins de Porto Rico ? Ou des adultes, qui viennent de voir les notables de leur ville exécutés en place publique, qui voient des milices de chemises noires marcher dans les rues, matraque à la main, tapant aux portes la nuit. Qui subissent une propagande d'état, nuit et jour. Si on leur retire un mot. Est-ce que le langage se reforme avec souplesse et délectation ? Ou est-ce que, nourrie par la peur et poussée par un réflexe de survie, la pensée se reforme sans le mot. Vois-tu ce que je veux dire ? Est-ce que les conditions extérieures de l'expérience sont les mêmes. Et est-ce que ce contexte cognitif n'est pas sous-estimé dans les expériences de sciences sociales ?

Un dernier exemple, l'expérience Milgram, celle où on reçoit l'ordre d'envoyer des décharges électriques, on a tous de très belles statistiques sur la capacité de l'être humain à obéir sans réfléchir et à tuer sous la pression de l'autorité. Encore une fois, quel est le biais de sélection de l'échantillon. Des occidentaux bien nourris dans une société démocratique libertaire ? Peut-on généraliser ce résultat à l'humanité entière et estimer que ce résultat est une constante fixe chez l'humain ?

Ou si l'on imagine par exemple, des moines bouddhistes de haut niveau spirituel, des bouddhas en puissance, qui sont soumis à cette expérience. Vont-ils continuer d'appuyer ? Vont-ils même accepter d'appuyer une seule fois ? Que peut-on en déduire sur l'humanité ? Est-ce que cela remet en cause le résultat initial ? Parce que par exemple, ce que je retire de l'expérience de Milgram, à titre personnel, c'est qu'il existe probablement un déficit de spiritualité, un déficit de sagesse dans les sociétés occidentales. Pas que l'être humain est par nature un bourreau en puissance soumis à l'autorité, prouvé scientifiquement. 

Je ne sais pas si je me suis bien exprimé, c'est juste pour remettre un peu de perspective dans l'usage d'expériences sociales comme argument d'autorité.  

Modifié par BeauRouge
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Typiquement, l'expérience de Milgram est un cas idéal pour expliquer ce que j'entends sur les liens entre la philosophie, la science et la sagesse. Pour moi, chacune de ces disciplines représente l'état de l'art dans une des trois logiques exactes que j'estime être à l'œuvre dans le monde :

- la science est la plus facile à comprendre, c'est la description de l'ensemble des lois de l'univers physique, on aimerait pouvoir l'utiliser partout, tout le temps ;
- la philosophie est l'usage de la raison, de la logique rationnelle ;
- la sagesse est l'usage du cœur, de la logique émotionnelle.

Je développe pas plus, autant prendre le temps. 

Milgram, c'est quoi. Deux complices, un sujet d'expérience. Le premier complice représente une autorité quelconque, qui peut varier selon les expériences. Initialement, c'est un savant habillé en blouse blanche. Il représente donc la science, d'autant plus qu'il s'agit d'envoyer des décharges électriques, de l'électricité, le produit du génie scientifique humain. il y a trois ou quatre siècles, produire des décharges électriques aurait été associé à de la magie. Aujourd'hui c'est associé à la science la plus pure. Nous sommes donc dans un cadre de science. 

Le second complice est la victime, c'est un acteur qui simule une souffrance à chaque décharge envoyée par le sujet de l'expérience. Son rôle est de montrer au sujet le résultat émotionnel des décharges électriques physiques qu'il lui envoie.

Et l'idée c'est de voir jusqu'où le sujet de l'expérience va faire primer sa raison sur son émotion. Pendant combien de temps la logique rationnelle de l'existence d'une autorité qui lui ordonne de continuer va primer sur sa capacité émotionnelle à remarquer la détresse de la personne qu'il est en train de tuer.

En utilisant mon schéma de pensée, Milgram c'est purement une mesure du degré d'équilibre entre rationalité et émotion d'un individu. Puis, comme j'associe l'émotion au cœur et le cœur à la sagesse, comme les résultats de Milgram sont disproportionnés en Occident, j'en déduis que les résultats issus de Milgram démontrent un déficit de sagesse dans les sociétés occidentales. Ou en tout les cas, l'existence d'un déséquilibre de la sagesse par rapport à la raison pure. 

J'en déduis pas que l'être humain est, par essence universelle, un bourreau naturellement soumis à l'autorité. Pour ça que j'aime bien ce schéma théorique, il produit des résultats intrigants. 

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Tout ça pour dire qu'il me semble délicat d'utiliser des expériences de sciences sociales modernes pour juger des situations dont nous sommes incapables de reproduire le contexte cognitif exact. Il est possible que de vivre dans un environnement tournant à la folie collective, comme a pu l'être la vague fasciste des années 30, il est possible que cela puisse modifier quelque peu les capacités et les caractéristiques de l'esprit et du cerveau, que cela provoque des réactions sociales et individuelles hors de la norme habituelle. 

Simplement pour la même raison que celle qui fait que les gamins de Porto Rico ne réagissent pas de la façon attendue à des expériences sociales simples. 

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Et en lisant la littérature de l'époque, on retrouve souvent ces descriptions de la modification du langage. Comment il se produit une forme d'étrangeté, de sentiment d'irréalité, d'oppression aussi, lorsque l'on s'aperçoit soudain que l'on a plus les mots ou que le sens collectif d'un mot courant vient subitement de changer. 

Mais ça, c'est du ressenti et je pense savoir que ça ne va pas te convaincre :fallout_thumbsup: Juste, à titre personnel, je trouve ça cohérent. Il y a eu plusieurs descriptions de ça (et sincèrement désolé je serais incapable à cet instant de te les retrouver précisément), mais il y a eu des descriptions de la terreur intime que cela peut provoquer quand quelque chose que l'on croyait aussi stable que le langage commun se modifie soudain brutalement sans que personne ne réagisse, et pire que ça, en voyant tout les autres autour s'y conformer comme si c'était naturel. Je crois que le pire c'est ça, c'est de s'apercevoir que les autres ne disent rien. De mes souvenirs de ces lectures, les intellectuels intègres le vivent très mal. 

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Et tu parles d'empirisme :

Citation

mais il va falloir t'accrocher, parce que y'a plus d'un demi-siècle d'évidences empiriques pour te contredire.

Mais dans les années 20-30-40, il n'y avait pas plus empirique que les travaux menés par les idéologues fascistes sur ces questions. Puisqu'ils appliquaient immédiatement à grande échelle leurs théories. Difficile de faire plus empirique. Et s'ils ont continué, j'ai tendance à estimer que c'est parce que ces méthodes fonctionnaient, en modifiant les mots, ils modifiaient les comportements, si l'on veut adopter une approche purement behaviorist. Du point de vue empirique, on peut au moins estimer ce lien valable. 

Après, savoir si la modification du comportement était liée à la modification de la structure de la pensée ou à d'autres facteurs, c'est un peu plus complexe. 

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Une autre piste d'étude sur le sujet est cette expérience de 1996 Bargh, Chen, Burrows

Deux groupes, un groupe témoins qui se voit présenter des mots neutres, le groupe-test se voit présenter des mots en rapport avec l'âge et la vieillesse (par exemple Floride, si, si, il y était). Quelque tours de passe-passe pour faire lire les mots à chaque participant puis l'expérience commence : on mesure la durée que met chacun à parcourir les dix mètres jusqu'à l'ascenseur. 

En moyenne, le groupe qui a lu des mots sur une thématique liée à la vieillesse a mis environ une seconde de plus que l'autre groupe pour parcourir ces dix mètres. 

Là, on retrouve une influence directe entre langage, pensée et comportement. 

Révélation

édit : en y pensant bien, il y a deux biais majeurs dans l'expérience de Milgram.

- d'abord le cadre scientifique est surexagéré ; la même expérience réalisée dans une forêt au milieu d'animaux n'aurait pas les mêmes résultats ;
- ensuite c'est un acteur qui simule les décharges ; la même expérience en condition réelle devrait générer naturellement un niveau d'empathie différent. 

 

Modifié par BeauRouge
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  • 2 semaines plus tard...

Je boucle rapidement ce sujet. L'inspiration revient en ce moment, profitons-en, voici une courte histoire pour illustrer ce que je veux dire dans mon spoiler.

 

Citation

 

Léman s'était levé tôt ce matin, une de ses brebis était malade et les feuilles de sureau dont il avait besoin pour la soigner ne poussaient que sur la colline du vieux Ramin. Les deux bergers étaient restés assis quelque temps, sur une large pierre, à boire du lait chaud, sans dire un mot, puis le soleil avait fini par se lever et Léman était rentré s'occuper de sa brebis. Sa température avait diminué mais elle ne pouvait toujours pas se lever et, à intervalles réguliers, son ventre se gonflait, frémissait avant de retomber, platement. Sa mère était resté assise près d'elle, le museau de la petite posée contre sa fourrure, gardant l'air placide. Léman avait amené le reste du troupeau un peu plus loin que d'habitude, après le champ de caillasse qui bordait ses pâtures régulières. Là-bas, si l'on s'avançait dans la forêt, se trouvait une petite source d'eau claire et la mousse qui poussait sur ses rives était plus nourricière que l'herbe des prés. Sa brebis en avait besoin. Le berger était en train de chercher son propre repas, nu, plongé à mi-corps dans l'eau lorsque le citadin était arrivé. "Monsieur Léman ! Monsieur Léman ! Je vous ai cherché partout, même les enfants du village n'ont pas su vous trouver ! C'est le vieux Ramin qui m'a dit de venir ici". Son cri venait de faire fuir la carpe qu'il guettait. 

En soupirant, Léman se sécha et se rhabilla à moitié. Derrière le citadin, aussi insaisissable qu'une truite se tenait un autre homme, l'air chétif et nerveux. Il se cachait à moitié tandis que le citadin parlait. Léman s'approcha de leurs chevaux, sans vraiment comprendre ce que disait l'autre. Les deux bêtes étaient épuisées, l'encolure basse et les quelques touffes de poils arasées qu'il voyait n'étaient pas de très bonne augure. Léman les flatta doucement du revers de la main et les amena jusqu'au ruisseau pour les laisser se désaltérer, sous l'ombre des grands palétuviers. 

"... et donc aider la recherche du comité directeur central". 

Léman s'assit en tailleur sur le sol mousseaux, dans un espace formé entre les racines noueuses et le citadin fit de même, face à lui. Son compagnon resta plus loin, faisant mine de s'intéresser aux cuissots des chevaux. 

"Monsieur Léman, le comité directeur central de la recherche m'a demandé de conduire une expérience scientifique et vous avez été choisi pour nous y aider". Le long silence qui s'ensuivit vit le citadin se tortiller un peu maladroitement, à chercher une position plus confortable sur le sol inégal. 

"Le comité directeur central souhaite améliorer la capacité de mémorisation de nos écoliers et nous avons besoin de savoir si la punition est un moyen efficace de les aider à apprendre. Acceptez-vous de nous apporter votre concours ?"

Le berger était allé durant toute son enfance à l'école communale, il comprenait le vocabulaire ampoulé du citadin mais n'aimait pas ça. Il parlait comme dans les livres. Trop de mots inutiles. 

"Et en échange de votre aide, le comité central vous offre huit réal d'argents."

Ca, il comprenait mieux. Huit réal, au village, c'était de quoi trouver l'huile de pied-de-bœuf dont il manquait pour nourrir le cuir de ses vieilles chaussures. Il l'écouta avec un peu plus d'attention. Le citadin remarqua le changement, son visage s'éclaira et sa voix était devenue plus rapide.

"Monsieur Léman, nous avons besoin de votre aide. Nous voulons savoir si la punition est un bon moyen de motiver les enfants à mémoriser. Voyez-vous, j'ai rencontré la personne derrière moi sur le chemin, il a accepté lui aussi de participer à cette expérience. Ce que je vous demande, c'est de jouer le rôle de son professeur. Nous allons lui montrer des mots sur une feuille et lui demander de les mémoriser. Ensuite nous allons enlever la feuille et il devra réciter les mots les uns après les autres, dans l'ordre. S'il se trompe, vous appuierez ici pour le punir."

Le citadin entrouvrit sa veste de laine et Léman vit un étrange appareil, aux formes anguleuses et flanqué de fils de plusieurs couleurs. Le citadin esquissa un sourire étonnant. 

"C'est de l'électricité. Je vais brancher cette machine à notre ami ici présent et s'il se trompe sur les mots ou sur l'ordre des mots, vous appuyez sur ce bouton pour lui envoyer une décharge électrique, afin de le punir. A l'aide des tableaux inscrits dans ce livre, je vais ensuite regarder si ces décharges vont, ou non, l'aider à mieux mémoriser".

Le berger resta silencieux un instant. "Les professeurs n'envoient pas de décharges électriques aux enfants." Sa voix était rauque, caillouteuse. "Et votre ami n'est pas un enfant". 

C'était au tour du citadin de se taire. "Oui, bien sûr, mais c'est une façon de faire semblant, nous pensons, nous, au comité directeur central de la recherche, que cela n'a pas d'importance. En procédant de la sorte, nous sommes sûrs que les résultats sont suffisamment précis pour s'étendre aux professeurs des écoles et leurs enfants. Huit réal, monsieur Léman. Pour aider la science".

Le frémissement des sourcils du berger n'avait pas laissé de place au doute pour le citadin. Cela faisait plus de dix années que le citadin parcourait les plaines et les montagnes du pays pour ce type de recherche, il savait quand le poisson était ferré et Léman venait tacitement d'accepter son offre.

"Venez". 

Le troisième homme s'approcha timidement, en dégrafant sa chemise, poussiéreuse du trajet. Son torse était grêlé et par endroits, des marques anciennes avaient rougi la peau. Le citadin brancha les extrémités de son appareil à l'endroit des marques et présenta le bouton au berger. Ces deux-là se connaissaient. L'autre avait déjà une feuille entre les mains. 

Il mémorisa plusieurs fois les séquences de mots sans aucune difficulté puis, au fur et à mesure, les séquences devenaient plus difficiles et d'une voix trébuchante il finit par se tromper. Personne ne bougea. Le citadin finit par faire remarquer l'erreur. "Monsieur Léman, vous devez appuyer". "Pourquoi ?". "Pour l'aider à mémoriser". 

Léman resta de marbre. "Les anguilles font de l'électricité, Monsieur. Pour se défendre. Je ne suis pas une anguille." 

"Oui, mais il a commis une erreur. Le but est de savoir si les punitions aident à la mémorisation et l'électricité n'a pas d'importance, nous pourrions tout aussi bien l'envoyer au coin. Vous êtes allé à l'école, Monsieur Léman, vous vous rappelez des punitions. Dites-vous que l'électricité est juste une façon de l'envoyer au coin. Nous faisons semblant, ici".

"Semblant de quoi ?"

"Semblant d'une relation entre élève et professeur". 

"Ca n'y ressemble pas". 

"Mais c'est justement pour ça que je vous dis que l'on fait semblant. C'est pour aider la science et tout le pays, Monsieur Léman. Et huit réal. Appuyez, s'il vous plaît."

"Il ne m'a rien fait". 

"Oui, mais il s'est trompé". 

Cela ne lui disait rien qui vaille. L'ami du citadin était malingre, ce dont il avait besoin c'était d'une soupe chaude et de quelques jours à manger de la viande, pas d'une décharge électrique. Et si c'était comme de l'envoyer au coin, pourquoi on ne l'envoyait pas simplement au coin ? Le citadin insista.

"Appuyez, Monsieur Léman. Cet homme s'est trompé dans la mémorisation des mots, nous voulons savoir si les punitions aident à mieux apprendre." 

"Vous faîtes semblant. Ce n'est pas la bonne façon de le faire. Cet homme ne m'a rien fait". 

"Bien sûr que nous faisons semblant. C'est pour la science". 

"La science ne doit pas faire semblant. Personne ne devrait faire semblant. C'est vrai ou ça l'est pas. Y'a pas de semblant de vérité. Vous devriez pas faire semblant."

Le citadin devenait rouge. La conversation s'anima peu à peu. "Comment osez-vous ! Qui êtes-vous pour parler de science ! Savez-vous tous les diplômes que j'ai reçu ? Des meilleures universités, oui ! Tous ! Nous savons exactement ce que nous faisons. Appuyez Monsieur Léman, je sais mieux que vous. J'ai étudié, Monsieur Léman ! Et d'autres ont étudiés avant moi. Je parle au nom des plus grands savants Monsieur Léman ! Je sais mieux que vous. Je sais, moi, de quoi je parle."

Le berger souffla de nouveau, lentement. "Sans doute vous savez parler, mais vous ne savez pas parler vrai. Vous êtes venus avec cet homme, vous le connaissiez avant de venir me parler. Vous ne l'avez pas rencontré sur le chemin". 

Le citadin bégaya un instant. Il marmonna plusieurs fois des phrases vides de sens avant de se reprendre. "Huit réal, Monsieur Léman ! Huit réal ! Et pour la science ! La science !" Le citadin abattit toutes les cartes qu'il avait acquis au cours de ses multiples rencontres avec des personnes de ce genre, tous les trucs et astuces qu'il avait pu engranger pour convaincre les pauvres gens de cet espèce. 

Le berger hésita. S'il envoyait une seule décharge, il pouvait toucher les huit réal et chasser les deux étrangers de ses terres. S'il ne le faisait pas, il pouvait les chasser dès maintenant.

En moins de temps qu'il n'en fallait pour le dire, le citadin et son ami étaient déjà remontés en catastrophe sur leurs chevaux, assortis d'un poisson flanqué à bonne distance en pleine tête du citadin et que son ami s'empressa d'attraper. Du temps perdu. Déjà ils étaient repartis sur les chemins embêter un autre honnête homme. Drôles d'oiseaux. 

---

 Lorsqu'il fit son rapport final au comité directeur central de la recherche, le scientifique expert es-humanité Alberti nota que de par ses expériences de terrain et sa bonne connaissance des bergers, des chasseurs et des paysans de l'arrière-pays, il était maintenant prouvé scientifiquement que l'être humain n'était pas fait pour se soumettre à l'autorité des autres humains. Un scribe à l'esprit taquin fit remarquer innocemment que le mode opératoire employé par le scientifique expert es-humanité Alberti était sans doute inefficace mais l'éclat de rire général au sein du collège directif central le dissuada de pousser la plaisanterie plus moins. La vérité scientifique fut ainsi consignée, dans le grand livre des expériences du comité directeur central. 

---

Cependant, bien plus tard, un autre esprit taquin gribouilla en douce dans le livre, pour ajouter dans une marge l'idée que le vrai test de la soumission à l'autorité était peut-être simplement de distinguer entre ceux qui acceptent de participer au test et ceux qui n'acceptent pas. Le simple fait d'accepter de participer à l'expérience est déjà une validation du test en lui-même. Tout le monde ne le ferait pas. 

 

 

Pour la novlangue, en repartant de ce que l'on a dit plus haut — si le fascisme et le wokisme ont des points en communs, par exemple si les deux idéologies ont la capacité de brûler des livres en toute sérénité, la capacité de tourmenter les professeurs d'université et la volonté de purger idéologiquement le monde culturel, si le fascisme et le wokisme ont des points communs et que la novlangue est un artefact du fascisme, alors ça vaut le coup de vérifier si le wokisme a créé sa propre novlangue. 

Juste au cas-où. Pur raisonnement d'inférence.

Or il se trouve que le wokisme a effectivement créé un nouveau langage, une nouvelle langue, qui se matérialise par un changement de la syntaxe (l'écriture inclusive prônée par ses affidé-e-s) et par une modification du vocabulaire, avec une liste de nouveaux mots et de néologismes tellement longue qu'il est peu probable que quelqu'un sur Terre puisse les connaître tous entièrement. Modification de la syntaxe et du vocabulaire, je pense en effet pouvoir affirmer sans trop m'avancer que nous avons affaire ici une modification du langage commun, une évolution vers un nouveau langage.

Maintenant, si la suppression des mots par le fascisme italien et allemand dans les années 30 a été empiriquement utilisé comme moyen de modifier les comportements de masse, si le fascisme et le wokisme ont des points communs et si le wokisme utilise lui-aussi une nouvelle langue qui modifie à son tour la quantité de mots disponibles, alors il est permis de se poser la question si cette nouvelle langue du wokisme ne poursuit pas le même but que la novlangue des fascistes historiques. La modification des comportements de masse.

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Il y a 3 heures, MattIsGoD a dit :

Le wokisme n'est pas une idéologie. 

Next.

Hu...Comment tu le definirais, toi ? Ideologie est un terme assez fourre tout pour le comprendre, non ? 

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il y a 33 minutes, Sredni Vashtar a dit :

Hu...Comment tu le definirais, toi ? Ideologie est un terme assez fourre tout pour le comprendre, non ? 

Le terme "wokisme" est un amalgame d'idéologies de gauche. Amalgame fait par la droite pour discréditer, d'un seul trait, un paquet d'idéologies et de causes différentes. Voir aussi le fameux "Radical left" utilisé par les Républicains aux USA.

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il y a 2 minutes, MattIsGoD a dit :

Le terme "wokisme" est un amalgame d'idéologies de gauche. Amalgame fait par la droite pour discréditer, d'un seul trait, un paquet d'idéologies et de causes différentes. Voir aussi le fameux "Radical left" utilisé par les Républicains aux USA.

Ah merci, j'aurais du m'en rappeller.

C'est vrai que c'est un terme qui vient des memes figure d'autorite qui disent que la securite sociale est du communisme. :columbo2:

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il y a 15 minutes, Sredni Vashtar a dit :

Ah merci, j'aurais du m'en rappeller.

C'est vrai que c'est un terme qui vient des memes figure d'autorite qui disent que la securite sociale est du communisme. :columbo2:

Et utiliser par les cochons comme Mathieu Bock-Côté. C'est leur moulin à vent, quoi.

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Il y a 22 heures, MattIsGoD a dit :

Et utiliser par les cochons comme Mathieu Bock-Côté. C'est leur moulin à vent, quoi.

La conclusion que je prefere c'est quand meme: 

"Les fachos ont brule des livres, les wokistes ont brule des livres donc le wokisme c'est pareil !" 

Qín Shǐ Huáng a fait bruler des oeuvres confucianistes (deja considere a l'epoque comme une ideologie conservatrice) et purger les scholaires,  ca devait un woke lui aussi :huhu:

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Il y a 10 heures, Sredni Vashtar a dit :

"Les fachos ont brule des livres, les wokistes ont brule des livres donc le wokisme c'est pareil !" 

Citation

par exemple si les deux idéologies ont la capacité de brûler des livres en toute sérénité

La question posée est celle de la sérénité. 

 

Il y a 10 heures, Sredni Vashtar a dit :

Qín Shǐ Huáng a fait bruler des oeuvres confucianistes (deja considere a l'epoque comme une ideologie conservatrice) et purger les scholaires,  ca devait un woke lui aussi

Qin Shi a sans doute très bien fait. Confucius est de très loin le plus mauvais des sages que j'ai pu lire. Un jour, un admirateur est venu le voir pour lui parler. Sauf que cet imprudent était d'un rang inférieur, peu importe ses qualités, peu importe son âme ou son esprit, cet homme était d'un rang inférieur. 

Confucius a demandé à ses disciples de le congédier poliment, en prétextant sa maladie. Confucius malade, il n'était pas possible de le visiter. Puis, à l'instant où le visiteur s'en retournait, Confucius lui-même s'est mis à la fenêtre pour jouer d'un instrument et chanter. Histoire de lui montrer qu'il aurait pu le recevoir mais que sans même le connaître, l'autre en était indigne. Et qu'il devait le savoir.

Il l'a écrit lui-même.

 Y'a pas plus conservateur que sa pensée, c'est le moins sage des sages. Et comme j'aime bien ce genre de formule je garde mon avis sur lui ouvert. 

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Il y a 5 heures, BeauRouge a dit :

La question posée est celle de la sérénité. 

Je ne sais pas ce que tu entends par la. Bruler des bouquins est effectivement pas terrible a l'ere de l'impression et du contenu digitale, ca n'a tout simplement plus la meme portee qu'avant. Merde, meme en 37, c'etait deja plus un symbole qu'autre chose.

Lily-Lou, etudiante en gender studies, 17 ans (she/them) BLM et LGBTQ qui se filme sur twitter en train de bruler The Turner Diaries est insignifiante. C'est un geste symbolique qui n'a plus le meme tabou qu'autrefois, c'est simplement devenu du performance activisme. La forme la plus meprisable de militantisme possible. 

Deso mais bruler des bouquins fait partie de la liberte d'expression. On est d'accord pour dire que c'est un gachis mais rien de valeur n'est perdu et surtout, rien d'important n'est acheve ainsi. 

 

Il y a 5 heures, BeauRouge a dit :

Qin Shi a sans doute très bien fait.

Totalement. L'Occident aime le depeindre comme un despote cruel et amoral mais il avait trois qualites que je tiens en plus grande estime que n'importe quel gouvernement democrate: Il etait incorruptible, bossait aussi dur que ses subordonnes, voir davantage et etait un progressiste (on oublie trop souvent que progressisme n'est pas incompatible avec autoritarisme, au contraire, les deux forme une combinaison efficace dans les mains de dirigeants qui croient en ce qu'ils font) 

Je partage ton avis sur le Confucianisme, je n'ai aucun respect pour le patriacat et le sexisme et le confucianisme en fait des valeurs morales superieures qui ont directement conduit a la mort d'un nombre incalculable de femmes. To hell with this.

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Le 2022-03-06 à 11:23, Sredni Vashtar a dit :

Deso mais bruler des bouquins fait partie de la liberte d'expression. On est d'accord pour dire que c'est un gachis mais rien de valeur n'est perdu et surtout, rien d'important n'est acheve ainsi. 

Oui clairement et plus que ça, brûler des livres est une liberté fondamentale. Si un jour ma fille meurt de froid je brûle ma bibliothèque entière pour la réchauffer. Mais avant ça, je mourrais avant de laisser n'importe qui la toucher. La question en soi, ce n'est pas de brûler les livres. La vraie question c'est la pensée qui brûle avec. Un guide du routard, un almanach détruit pour chauffer les chamallows de la soirée, c'est un peu dur mais ça va. A choisir, autant prendre du bois. Mais ça va. Les pensées que ces livres contenaient étaient temporaires. Mais quand un livre touche une pensée idéale, quand l'on a entre les mains un Rousseau, un Platon, un Spinoza. Brûler l'exemplaire ce n'est pas la question, il y en a d'autres. C'est de l'auteur dont on l'on parle, le vrai. De sa pensée, validée par des milliers d'esprits aguerris. Et cette pensée pourrait brûler ? 

Jamais. Qui serait digne de dire qu'il aurait le droit de faire ça ? Certainement pas un militant. Déjà qu'un sage ne pourrait pas. Pourtant, ils le font. 

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