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Les dessins de Charlie Hebdo


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Un article excellent à mon gout. Je le partage ici.

Ces morts que nous n’allons pas pleurer

08 JANVIER 2015 | PAR MATHIAS.DELORI

Une sensation circule depuis l’attentat perpétré contre la rédaction de Charlie Hebdo : nous sommes en train de vivre un « 11 septembre français ». Si on laisse de côté la question du volume (environ trois mille morts d’un côté, une douzaine de l’autre), le parallélisme entre les deux événements saute en effet aux yeux. Dans les deux cas, les attentats ont été perpétrés par des personnes se réclamant de l’Islam. Ils ciblent par ailleurs des personnes civiles et des symboles de la modernité occidentale (la presse ici, le capitalisme là-bas). Enfin, ils mettent en œuvre une stratégie « terroriste » au sens où il s’agit de provoquer une émotion de peur dans le pays touché. Cette idée selon laquelle nous aurions affaire à un « 11 septembre français » a donc fleuri dans les rédactions.

Elle conduit les commentateurs à s’interroger sur les leçons à tirer du 11 septembre américain et, plus généralement, à l’attitude à adopter face à cette « menace ».

A ce propos, deux interprétations semblent structurer le débat public. La première, outrancièrement raciste, affirme que l’Islam a déclaré la guerre à l’Occident et que ce dernier est en droit de se défendre. E. Zemmour, M. Houellebecq et d’autres islamophobes vont certainement s’engouffrer dans la brèche dans les prochains jours. Le corollaire de cette vision du monde est la peur ou la haine de l’Islam, peur et haine que les personnes susmentionnées ne récusent pas. La seconde interprétation invite au contraire à ne pas faire d’amalgame entre Islam et terrorisme et à ne faire la guerre qu’à ce dernier. Cette deuxième approche, dominante dans les discours officiels et les éditoriaux de la presse « mainstream », est plus nuancée que la première dans la mesure où elle dénonce la grossièreté de l’opération consistant à assimiler un milliards d’individus aux actes d’une poignée. Elle se présente par ailleurs comme « humaniste » au sens où elle condamne les idéologies haineuses et invite à se recueillir, pacifiquement, en solidarité avec les victimes des attentats.

Bien que différentes en première analyse, ces deux interprétations présentent au moins un point commun : leur dimension très émotionnelle. En effet, elles ne se fondent pas seulement sur des raisonnements articulés mais également sur une constellation (différente) de sentiments et d’affects. D’un côté, les islamophobes grossiers sont animés par des émotions négatives : peur et haine de l’autre, instincts revanchards, etc. D’un autre côté, les « humanistes » semblent traversés, d’abord et avant tout, par des émotions positives : compassion et sympathie avec les victimes, attachement affectif à des « grandeurs » positives (la liberté de la presse, la démocratie libérale, la république, etc.). La dimension émotionnelle de ces deux cadres d’interprétation se donne à voir dans l’espace public quand un groupe de personne brûle passionnellement un Coran et quand d’autres convergent les yeux rougis vers les places de la république pour un moment de recueillement. Ces deux types de scènes ont marqué l’imaginaire américain après le 11 septembre. Internet et les médias français nous passent en boucle leur équivalent français depuis le drame du 7 janvier.

Le caractère public et collectif de ces réactions émotionnelles nous rappelle que les émotions sont tout sauf des réactions spontanées. En effet, ces sentiments qui nous semblent si personnels, si intimes, si « psychologiques » sont en réalité médiatisés par des cadres interprétatifs qui les génèrent, les régulent et leur donnent un sens. Derrière les émotions se cachent des discours, des perspectives et des partis pris moraux et politique dont il importe de comprendre la nature pour bien mesurer leurs effets. Or quelle leçon pouvons-nous tirer de cette observation très générale sur le caractère socialement construit des émotions et de ce qu’on pourrait appeler le « précédent américain » ?

La philosophe J. Butler s’est intéressée aux réactions émotionnelles aux attentats du 11 septembre aux Etats-Unis. Elle a relevé que ces réactions se sont articulées selon les deux dimensions évoquées plus haut : la dimension négative génératrice de haine, de peur et de désir de revanche et la dimension positive invitant à la compassion et à l’indignation morale face à l’horreur. J. Butler s’est principalement intéressée à la seconde car elle n’a pas, en apparence, le caractère belligène et grossier de la première. Ses conclusions intéresseront peut-être celles et ceux qui s’inscrivent dans le cadre humaniste, affirment « être Charlie » et veulent réfléchir au sens de leurs gestes politiques.

La première observation de J. Butler porte sur le caractère extraordinairement sélectif de ces sentiments de compassion. Elle relève que le discours humaniste a organisé la commémoration des 2 992 victimes des attentats du 11 Septembre sans trouver de mots ni d’affect pour les victimes, incomparablement plus nombreuses, de la guerre américaine contre le terrorisme. Sans nier avoir elle-même participé « spontanément » à ces scènes de commémoration, J. Butler pose la question suivante : « Comment se fait-il qu'on ne nous donne pas les noms des morts de cette guerre, y compris ceux que les USA ont tués, ceux dont on n'aura jamais une image, un nom, une histoire, jamais le moindre fragment de témoignage sur leur vie, quelque chose à voir, à toucher, à savoir? ».

Cette question rhétorique lui permet de pointer du doigt le fait que des mécanismes de pouvoir puissants se camouflent derrière ces scènes apparemment anodines et (littéralement) sympathiques de compassion avec les victimes de la violence terroriste. Ces mécanismes de pouvoir se donnent à voir dans ce qu’on pourrait appeler le paradoxe du discours moderne et humaniste. Alors que ce discours accorde a priori une valeur égale à toutes les vies, il organise en réalité la hiérarchisation des souffrances et l’indifférence de fait (ou l’indignation purement passagère) par rapport à certaines morts : les morts de la « forteresse Européenne » (19 144 depuis 1988 d’après l’ONG Fortress Europe) et les enfants de Gaza - pour prendre deux exemples étudiés par Butler – ou encore les 37 personnes tuées dans un attentat au Yemen le jour même du drame de Charlie Hebdo, pour prendre un exemple plus récent.

Le corolaire pratique de cette observation est que ces cérémonies de commémoration ne sont pas triviales. Derrière leur paravent de neutralité positive, elles sont des actes symboliques performatifs. Ces cérémonies nous enseignent quelles vies il convient de pleurer mais aussi et surtout quelles vies demeureront exclues de cette économie moderne et humaniste de la compassion.

Appliquée à l’actualité française, l’étude de J. Butler apporte un éclairage sur la réaction officielle et dominante - c’est-à-dire « humaniste » et « compatissante » - au drame de la rédaction de Charlie Hebdo. Cette analyse invite à se décentrer et à s’interroger sur les effets de ces discours et gestes de compassion. Or il n’est pas certain que les effets mis en avant par les partisans de ce discours soient les plus importants. On nous explique que ces discours de sympathie et ces gestes de compassion peuvent aider les familles de ce drame à accomplir leur deuil. Mais ces familles (et les lecteurs de Charlie Hebdo qui ont noué des liens d’attachement à ces victimes) ne préféreront ils pas faire ce travail dans l’intimité ? On nous dit ensuite que ces discours et ces gestes sont une manière de réitérer le principe de la liberté d’expression. Mais qui pense réellement que ce droit fondamental soit aujourd’hui menacé en France, notamment quand celui-ci consiste à caricaturer la population musulmane, laquelle est - et restera vraisemblablement dans les moments à venir - fréquemment moquée, caricaturée et stigmatisée ?

Le travail de J. Butler nous enseigne que ces discours et ces gestes produisent plus certainement des effets belligènes. En effet, on aurait tort de penser que les guerres et la violence ne prennent racine que dans les émotions négatives. Contrairement à une idée fort répandue, la haine du boche et du « Franzmann » n’a pas été le premier moteur de la Première guerre mondiale. Cette guerre a d’abord pris racine dans les sentiments les plus positifs qui soient : la compassion pour les victimes nationales des guerres passées, l’attachement à la communauté nationale ou encore l’amour de grandeurs aussi universalistes que la « civilisation » en France et la « Kultur » en Allemagne.

On a le droit de penser que la guerre contre le terrorisme islamiste est une guerre légitime. Mais il importe d’être conscient d’une réalité statistique. En trente ans, le terrorisme islamiste a fait environ 3500 victimes occidentales, soit, en moyenne, un peu moins de 120 chaque année. Ces 120 morts annuels sont 120 catastrophes personnelles et familiales qui méritent reconnaissance. Ce nombre est toutefois bien inférieur à au moins deux autres : 9 855 (le nombre de morts par arme à feux aux États-Unis en 2012) et 148 (le nombre de femmes tuées par leur conjoint en France en 2012). Cette nécro-économie (E. Weizman) est certainement trop froide. Elle nous enseigne cependant que nos attitudes politiques sont embuées par notre sensibilité différenciée par rapport à la violence. En effet, personne n’aurait l’idée d’envoyer des bombes de 250 kg sur les maisons des auteurs d’homicide aux États-Unis. De même, aucun chef de gouvernement ne penserait à décréter l’Etat d’exception après avoir pris connaissance du nombre de meurtre sexiste et intra-familial en France. Pourquoi cet unanimisme, dans la presse de ce matin, au sujet de la nécessité de ne pas baisser les pouces dans le cadre de la guerre (militaire et non métaphorique) au terrorisme islamiste ?

Cette économie sélective de la compassion produit un deuxième type d’effet en ce qui concerne la perception de la violence d’État occidental. Les discours communautaristes ou racistes ont ceci de particulier qu’ils mettent bruyamment en scène la violence qu’ils déploient. À l’inverse, le discours moderne et humaniste est aveugle par rapport à sa propre violence. Qui a une idée, même approximative, du nombre de morts générés par la guerre américaine en Afghanistan en 2001, par celle des États-Unis et du Royaume-Uni en Irak en 2003 ou encore par l’intervention de la France au Mali en 2013 ? L’une ou l’autre de ces guerres était peut-être légitime. Mais le fait que personne ne soit capable de donner une estimation du nombre de morts qu’elles ont généré doit nous interroger. Dans ces moments où nous sommes submergés par les émotions, il peut être intéressant de penser à tous ces précédents et à ces morts, à venir, que nous n’allons pas pleurer.

Par Mathias Delori, Chercheur CNRS au Centre Emile Durkheim de Sciences Po Bordeaux

http://blogs.mediapart.fr/blog/mathiasdelori/080115/ces-morts-que-nous-n-allons-pas-pleurer

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Les frères bêtes sanguinaires Kouachi viennent d'être abattus, leur otage est saine et sauve. Leur capture vivant aurait pu permettre de retracer leur réseau et leur source de financement tout en leur évitant " l'honneur" d'être morts en martyrs, mais devant de telles personnes armées, le plus sécuritaire pour le GIGN est de les abattre à vue...

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Les frères Kouachi KILLED.

L'otage sain et sauf.

victory-02.jpg

[...] Leur capture vivant aurait pu permettre de retracer leur réseau et leur source de financement tout en leur évitant " l'honneur" d'être morts en martyrs, mais devant de tels personnes armées, le plus sécuritaire pour le GIGN est de les abattre à vue...

Effectivement, des fous d'Allah... rien à retirer de ces gens vivant dans une réalité parallèle et distortionnée.

Je suis fier de travailler quotidiennement à l'éradication de l'ISIS.

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On ne sait pas encore si les otages de la porte de Vincennes vont "bien". Je travaille dans cette zone et en quittant les lieux j'ai croisé une floppée d'ambulances qui se dirigeaient vers le quartier, il y a dix minutes.

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Tu as raison Daleko... ici on parle maintenant de 5 morts dans les otages chez Hyper Cacher.

Triste.

Tu travail où?

Au ministère de la Défense Nationale du Canada.

left-dnd-fra.gif

Je ne sais pas si tu vis ici, mais présentement nous bombardons en Irak (Op Impact).

http://www.forces.gc.../op-impact.page

CF-18 Hornet présentement en action au moyen-orient:

BN2012-0408-02.jpg

Modifié par Neoraf
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C'est ce que je me dit à chacune de ses participations.

Le point que je soulève c'est justement que quelqu'un a prit cette photo. Et a empoché par la suite de l'argent. Je trouve sa autant dégouttant que la fois avec la page couverture qui a coûter la vie d'un dude dans un métro. C'est pas moi qui fait la nouvelle. Je suis innocent.

Les petits journaux comme Métro offrent 25$ imagine les grandes publications comme le Figaro.

Je m'abstiendrais pas de dire la VÉRITÉ.

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Moha pisse de merde est un des membres les plus cons de ce forum.

Donc selon toi et surement d'autres, je suis con de penser que c'est très immoral de faire de l'argent avec la mort des autres?

Cette photo est partout. Là est le problème.

La résolution 6016 × 3008 de cette image prouve mon point.

On en ai rendu là.

Mais encore une fois, vous ne voyez pas plus loin que le bout de votre nez.

C'est tellement amusant de fesser sur Abereau, parce qu'il ne se défend même pas. Il reste silencieux comme une pauvre femme de Dali qui se fait violer dans un métro.

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En passant Janus, voici présentement toutes les opérations militaires officielles (c'est-à-dire publiquement révélées) où nous sommes impliqués dans le monde:

Untitled-2copy.jpg

Pour en savoir davantage

Ce que je trouve déplorant:

La population ne s'informe TELLEMENT pas du pourquoi elle se lève chaque matin pour aller travailler (c'est-à-dire contribuer socialement par l'impôt en finançant différents ministères).

Modifié par Neoraf
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